jeudi 24 novembre 2011

Désir impérieux!

Un soir de décembre de Delphine de Vigan.

Editions Points, 01/2007, 195 pages.

Quatrième de couverture: « Quarante-cinq ans, une femme, deux enfants, une vie confortable, et soudain l'envie d'écrire, le premier roman, le succès, les lettres d'admirateurs... Parmi ces lettres, celles de Sara, empreintes d'une passion ancienne qu'il croyait avoir oubliée. Et qui va tout bouleverser. Au creux du désir, l'écriture suit la trajectoire de la mémoire, violente, instinctive - et trompeuse. »

Mon avis: Alors que Rien ne s’oppose à la nuit s’affiche comme l’un des plus grand succès de la rentrée littéraire 2011, que Delphine de Vigan est l’un des écrivains les plus cités dans la blogosphère, voilà enfin venu le temps de m’intéresser à cette femme de lettres à la renommée grandissante, voire établie. J’ai choisi Un soir de décembre sous les fortes recommandations d’une amie chez qui le bon goût est inné.

C’est le récit de la vie d’un écrivain sous les feux de la rampe après les vertigineuses ventes de son premier roman et les critiques élogieuses. Des lettres de femmes anonymes lui parviennent par dizaines, son éditeur se fait une joie de lui faire parvenir. A part une. Déposer dans la boite aux lettres de son domicile. Pas de nom, pas de signature, juste l’écriture d’une femme en proie à un regret. Celui d’avoir interrompu leur idylle sauvage avant le mariage de l’écrivain.Cette femme inconnue, dont il découvrira peu à peu la véritable identité, enflamme son désir avec une force démentielle, le poussant à se retrancher de sa propre existence, abandonnant les êtres qu’il aime et qui l’entoure. Tout perd substance autour de lui, il ne vit que pour cette passion déchue, ancienne, qui fait soudainement surface, tel un cataclysme des sens.

Les sens sont ébranlés. Ce roman est éminemment sensuel, voire fortement érotique. Les lettres de cette femme déclenchent chez Matthieu (le protagoniste) une envie soudaine de posséder son corps, de revivre ces moments torrides entre les bras de l’amante langoureuse qu’elle fût. Il veut sentir à nouveau ses sens s’embraser dans le tourbillon de l’acte charnel. L’auteur déploie toute une poétique du corps, de la peau en ébullition, du désir trop longtemps contenu.Vive, dynamique et sans fioritures, à l’image de cette passion dévorante, l’écriture de Delphine de Vigan vise à faire ressentir au plus profond de la chair la suprématie du désir.

Bon roman qui se déguste avec passion!

mardi 22 novembre 2011

Douce Italie...

Le soleil des Scorta de Laurent Gaudé.

Editions Actes Sud, collection Babel, 03/2006, 285 pages.

Quatrième de couverture: « L'origine de leur lignée condamne les Scorta à l'opprobre. A Montepuccio, leur petit village d'Italie du Sud, ils vivent pauvrement, et ne mourront pas riches. Mais ils ont fait voeu de se transmettre, de génération en génération, le peu que la vie leur laisserait en héritage. Et en dehors du modeste bureau de tabac familial, créé avec ce qu'ils appellent « l'argent de New York », leur richesse est aussi immatérielle qu'une expérience, un souvenir, une parcelle de sagesse, une étincelle de joie. Ou encore un secret. Comme celui que la vieille Carmela confie au curé de Montepuccio, par crainte que les mots ne viennent très vite à lui manquer. »

Mon avis: Laurent Gaudé, après ma lecture de son avant-dernier roman, La porte des Enfers, j‘avais été subjugué par la force d‘écriture et l‘imaginaire de cet auteur. Avec Le soleil des Scorta, Goncourt 2004, il devient, à mes yeux, un auteur français incontournable. Si vous n’avez encore jamais découvert cet auteur, c’est l’occasion ou jamais.

Ce roman est une merveille. Très bien construit, il alterne les confessions d’une vieille femme, Carmela Scorta, et le récit de sa famille, et plus largement de toute la lignée des Scorta. Cette famille est née d’un drame et se retrouve confrontée à une malédiction qui frappe sans relâche les membres du clan Scorta. Ces hommes et ces femmes tentent alors d’accéder à une situation stable afin de trouver les voies du bonheur et de la sérénité, dans un paysage aride, calciné par le soleil de l’Italie du Sud. Seuls les oliviers y résistent.

Ce paysage sec et brûlant forme le carcan du roman, et les protagonistes y sont assujettis, voués à une existence gorgée de soleil. La vie et la mort brasse le rythme des journées dans ce petit village du sud de l’Italie, Montepuccio. Les traditions les plus antiques subsistent encore, tout un climat autochtone qui est voué à un cycle éternel, tel un supplice. C’est alors que surgit la lignée des Scorta, véritable cataclysme pour la petite communauté. Ces gens-là sont perçus comme des fous, fils d’un homme sanguinaire, sans foi ni loi. Ce roman, c’est l’histoire des descendants qui essayent de s’extirper de cette réputation sulfureuse pour tenter de construire un avenir stable et heureux à travers une époque qui change et mute sans cesse (des années 1870 à 1980) tout en gardant la fierté d’être des Scorta.

Récit d’une famille avec ses joies et ses peines, Le soleil des Scorta est un roman profondément humain, très émouvant.

Sublime!

dimanche 20 novembre 2011

Héroïsme.

HHhH de Laurent Binet.

Editions LGF, collection Le Livre de Poche, 05/2011, 442 pages.

Quatrième de couverture : «Prague, 1942, opération « Anthropoïde » : deux parachutistes tchèques sont chargés par Londres d'assassiner Reinhard Heydrich, le chef de la Gestapo et des services secrets nazis, le planificateur de la Solution finale, le « bourreau de Prague ». Heydrich, le bras droit d'Himmler. Chez les SS, on dit de lui : « HHhH ». Himmlers Hirn hei(...)t Heydrich - le cerveau d'Himmler s'appelle Heydrich. Dans ce livre, les faits relatés comme les personnages sont authentiques. Pourtant, une autre guerre se fait jour, celle que livre la fiction romanesque à la vérité historique. L'auteur doit résister à la tentation de romancer. Il faut bien, cependant, mener l'histoire à son terme... »

Mon avis : Prix Goncourt du premier roman, HHhH fut le succès de l’année dernière. Les éloges ne manquent pas pour qualifier ce roman ambigu qui s’efforce de restituer la réalité historique en luttant contre la tentation du romanesque. Cette double identité (d’un côté l’Histoire, de l’autre la création) lui confère un statut atypique. L’auteur fait même part de ses choix narratifs au lecteur, porté par son combat contre l’invention, délivrant ainsi une oeuvre troublante, dotée d’une véritable force d’écriture.

L’intrigue? Un véritable attentat fomenté par deux parachutistes tchèques contre le bras droit d’Himmler, troisième homme le plus puissant du IIIème Reich : Reinhard Heydrich. Ce dernier est à Prague, élu à la tête du Protectorat, lorsque l’un des assassinats les plus déterminants de l’Histoire de la seconde guerre mondiale se dessine à l’insu de l’Occupant. Laurent Binet brosse un portrait démoniaque d’Heydrich, surnommé « la bête blonde » ou bien « le boucher de Prague », autant de surnoms qui rendent l’homme très peu sympathique et lui confèrent les attributs d’un chef des polices criminelles sanguinaire, sans pitié, psychopathe suprême. Son histoire nous est contée, de son enfance à son ascension progressive mais fulgurante au sein de l’organigramme nazi, jusqu’à sa mort dans un virage serré de la « ville aux cent clochers ». Ses coups les plus bas ne nous sont pas épargnés. Le portrait est saisissant, celui d’un être humain gangrené par une soif de sang et de pouvoir. La mégalomanie d’Hitler trouve son déversoir dans le sang-froid imperturbable d’Heydrich qui n’hésite pas à salir ses mains. C’est d’ailleurs lui qui sera à l’origine de la Solution finale.

Derrière cet homme monstrueux se cachent Gabcik et Kubis, les deux parachutistes envoyés à Prague pour l’assassiner. Le gouvernement tchèque, exilé à Londres, ainsi que le gouvernement britannique, décident de lancer l’opération « Anthropoïde ». Ces deux hommes, dont le destin pourrait faire l’objet d’un roman, vont se retrouver confronter à une tâche délicate et éminemment dangereuse.
Les préparatifs ainsi que le long cheminement qui les portera vers leur destin, est un des moments les plus forts du « roman ». Les deux jeunes hommes se cachent dans une ville en proie à la peur, où les dénonciations sont aussi vives que des brasiers et le danger permanent.
Toute la sympathie de Laurent Binet se tourne vers ces héros de guerre, ainsi que toutes les personnes qui les aideront à accomplir leur devoir. L’émotion qui se dégage de ces pages de mémoire envers les résistants tchèques est palpable et véritablement touchante.

Laurent Binet a réussi le pari de restituer toute la vérité historique en incluant une grande part d’émotion et de ressenti (inévitable) envers ses personnages. Son écriture est grandement maîtrisée et son sujet est perçu, non pas comme une leçon d’histoire, mais bel et bien comme un témoignage vibrant de la lutte contre le nazisme par des gens ordinaires qui ont accompli l’extraordinaire. Des actes de bravoure en plein désespoir.

Un magnifique « roman ». Magistral !

COUP DE COEUR !